Le Centre Pompidou présente sans grande imagination le travail du designer dont la réflexion sur la structure, les courbes et les couleurs ont porté haut le design français
PARIS - Pierre Paulin entre au Centre Pompidou et par la grande porte ! Après avoir eu droit, en 2003, à une microprésentation au Musée national d’art moderne (à la suite de l’acquisition de son siège Déclive ou de maquettes d’aménagement intérieur conçues en 1970 pour la firme américaine Herman Miller), le designer français, disparu en 2009, est enfin honoré à sa juste valeur, avec une vaste exposition. Il était temps.
Pourtant cette première rétrospective laisse un goût amer : on peine à trouver son propos. Certes, le visiteur pourra découvrir une multitude de meubles étonnants : de la chauffeuse CM195HD au fauteuil CM170 dit Tripode Cage, de la table baptisée Cathédrale au fauteuil Curule, du lustre dénommé Araignée à la banquette collective dite Borne… Mais l’exposition se contente de les dérouler « platement », selon une scénographie strictement chronologique. D’abord, les années 1950 et les créations pour le fabricant Meubles TV ou pour Thonet France ; les années 1960 et 1970 avec des luminaires commandés par l’éclairagiste Disderot, des meubles pour l’éditeur néerlandais Artifort et pour le Mobilier national ; les années 1980 avec des sièges de jardin en plastique pour la firme Stamp, des appareils électroménagers pour la société Calor ; enfin, à nouveau, des commandes pour le Mobilier national. Le tout installé de part et d’autre d’une immense paroi molle façon « rideau de douche » géant, conçue par l’agence amstellodamoise Inside/Outside.
Une audace peu mise en valeur
Un parcours un brin tristounet donc pour évoquer un personnage au caractère bien trempé, sinon tranché, véritable « aventurier du design » comme il aimait à se définir : « Il y a deux profils de designers, soutenait Paulin, les ingénieurs, qui envisagent le design de façon rationnelle et mentale ; et les aventuriers, les autodidactes dont je fais partie […] ». Deux thématiques, en tout cas, traversent son œuvre et auraient pu amplement servir de fil conducteur : l’innovation et la quête du confort.
Né le 9 juillet 1927 à Paris, diplômé de l’École Camondo en 1950, Pierre Paulin fut sans cesse à la recherche de nouveaux matériaux et procédés de fabrication. Ainsi en est-il du fauteuil AP14 dit Anneau (A. Polak Originals, 1954) – ici montré, en tube de métal et lanières de cuir –, dont il conçoit le prototype en appuyant contre un mur deux manches à balai qu’il joint avec du papier Kraft. Idem avec l’entreprise batave Artifort, pour laquelle il met au point un système original d’assise qui fera mouche : une structure en métal garnie de mousse de latex habillée de jersey coloré. Sans doute est-ce cette audace qui séduit Georges Pompidou, alors président de la République, lorsqu’il appelle le créateur, en 1971, pour réaménager les appartements privés de l’Élysée. Au cœur des moulures du XVIIIe siècle, Paulin livre un projet détonnant, dont certains spécimens sont ici exposés, mêlant toile tendue, sièges en aluminium couleur chamois clair et « plafond lustre » constitué de 9 000 tiges de verre.
Un design près du corps
L’autre facette déterminante de Paulin est à n’en point douter sa quête du confort. Nombre de pièces en témoignent à l’envi. On peut même en tester quelques-unes. Les chauffeuses Pacha et F784 dite Concorde, les fauteuils F300, F582 dit Ribbon Chair ou F437 dit Orange Slice, telle une orange coupée en deux pour accueillir moelleusement le fessier et le dos : tous ses sièges se mettent au service du corps, l’accueillent le plus « douillettement » possible. Paulin possédait ce don, en jouait même allègrement, dessinant la banquette Face-à-face pour se regarder droit dans les yeux, et sa consœur Dos-à-dos pour ne pas le faire. Le Tapis-Siège, lui, est un tapis amusant, dont les quatre angles peuvent se relever pour former des dossiers.
À défaut d’avoir fait le voyage jusqu’à lui, à Saint-Roman-de-Codières dans les Cévennes, où il s’était retiré en 1995, on peut l’écouter parler de son travail dans les quelques films projetés dans l’espace d’exposition ; notamment celui réalisé en décembre 2007 par la cinéaste Danielle Schirman. Il faut, en outre, admirer la virtuosité de son trait dans cette série d’esquisses formidables et encore jamais montrée, série issue d’un don effectué l’an passé par sa famille.
Reste une question quant à la construction même de cette présentation. En effet, une forte proportion de pièces est prêtée par des galeries, en particulier celle de Pascal Cuisinier (Paris), avec une douzaine de meubles au compteur pour ce dernier. Sachant qu’une exposition, qui plus est dans un musée national, fait en général « mécaniquement » grimper la cote d’un artiste, l’institution œuvre-t-elle davantage pour ses visiteurs… ou pour les marchands ?
Jusqu’au 22 août, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tel. 01 44 78 12 33
Tlj sauf mardi 11h-22h, jeudi jusqu’à 23h, entrée 14 €. Catalogue, 200 p., 34,90 €.
www.centrepompidou.fr
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Un Pierre Paulin inexpressif
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Commissaire de l’exposition : Cloé Pitiot, conservatrice au service design et prospective industrielle du Centre Pompidou
Scénographie : Laurence Fontaine, scénographe, avec Petra Blaisse (Inside/Outside), designeuse
Nombre de pièces : une centaine
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°459 du 10 juin 2016, avec le titre suivant : Un Pierre Paulin inexpressif